FAQ spéciale skipper

Vous avez l’habitude de suivre les courses nautiques, mais que savez-vous réellement sur la vie des skippers et leurs conditions de vie à bord ? 

Jean-Pierre Balmes, skipper du FULLSAVE148, s’est prêté au jeu, et vous avez eu l’occasion de lui poser vos questions…

Voici ses réponses !

Pour se qualifier pour la Route du Rhum – Destination Guadeloupe, il faut tout d’abord déposer un dossier de demande d’inscription auprès de l’organisation de course. C’est ce que j’ai fait en janvier 2022. Une fois ce dossier déposé, il y a une première sélection, sur des critères définis par la Class40 et l’organisateur de course, comme par exemple le plus grand nombre de milles parcourus sur des courses choisies par la Class40.

Pour ma part, j’ai été officiellement sélectionné au mois de juillet 2022.

Ensuite, je devais réaliser des qualifications en course et hors course, en solitaire.

En juin, j’ai participé en anticipation à une régate de 600 milles entre Saint-Tropez et Minorque (au large de Saint-Tropez). Puis fin août, j’ai effectué un parcours de 880 milles entre Portimao au Portugal et Lorient.

Ce dernier morceau de parcours a sans doute été le plus compliqué, avec une météo capricieuse entre vent et pluie, et une mer croisée, très agitée. Les derniers miles n’ont pas été de tout repos. Pour la petite histoire d’ailleurs, je devais à l’origine arriver à Saint-Malo, mais j’ai eu un problème d’énergie à bord et j’ai dû m’arrêter à Lorient…

Au total, j’ai parcouru une distance théorique de 1400 milles (en pratique, j’ai effectué plus de 1600 milles dont 350 milles au près*, avec des conditions météorologiques dépassant la force 5 sur l’échelle de Beaufort). Le comité de course a ainsi validé ma qualification et confirmé ma participation à la Route du Rhum – Destination Guadeloupe.

J’ai tout d’abord appris que Laurent avait activé ses balises de secours au large de La Corogne. Quand je l’ai su, je me suis précipité sur mon ordinateur pour regarder les sites Marine Traffic ou Vessel Finder afin de localiser les bateaux et l’hélicoptère de secours sur la zone de chavirage. J’ai également pris contact avec le préparateur du bateau.

J’ai ensuite vu qu’ils avaient trouvé le bateau en milieu de nuit, mais ils annonçaient qu’il n’y avait personne à bord. J’étais réellement bouleversé et je n’ai pas pu dormir. Après 15h de recherches, nous n’avions toujours pas de nouvelle de lui. Je savais que c’était un sportif de haut niveau et un bon marin, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser au pire. Quand on a su qu’il était vivant et qu’il venait d’être récupéré par les secours maritimes espagnols, cela a été un grand soulagement. Je le trouve admirable, il a su se protéger et a eu les bons réflexes pour se sauver. Il a fait preuve de beaucoup de courage, je suis vraiment heureux qu’il aille bien.  Maintenant, il fait tout pour pouvoir être au départ de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe.

Je n’ai pas toujours navigué en Class40. Ma première transat en solitaire a été la Mini Transat entre La Rochelle et Salvador de Bahia, sur laquelle j’étais sur un bateau de 6 mètres 50 ! Puis, j’ai couru ma première Route du Rhum – Destination Guadeloupe sur un Outremer (catamaran de croisière, en catégorie Rhum Multi). C’est un bateau plutôt confortable !

Mais ce qui me manquait, c’était le côté sportif de la navigation. Sur un Class40, il faut adopter un comportement beaucoup plus « agressif », avec plus d’engagement et un confort très relatif… Il faut se concentrer à chaque instant, on n’a pas le droit à la moindre erreur avec ce type de bateau.

J’ai débuté dans le cadre scolaire, et très vite, j’ai développé des aptitudes. Le « retour sur investissement » fut immédiat lors des premières régates où je me suis bien, voire très bien classé !

Après, le reste a suivi et j’ai découvert tout l’univers qui entoure la voile : le voyage, le mode de vie, les valeurs d’engagement et de respect, la nature, les couleurs… J’en ai profité, et aujourd’hui, j’ai envie de partager toutes ces choses avec la nouvelle génération de skippers.

Ce que je redoute le plus quand je navigue en solo, ce sont les potentiels problèmes techniques que je pourrais rencontrer : panne de pilote, voie d’eau, rencontre avec un OFNI… Sinon, mon expérience fait que je n’ai pas vraiment de peur ou d’appréhension particulière. J’aime naviguer seul, cela me procure un vrai sentiment de sérénité et de plénitude. On n’a plus du tout la même gestion/notion du temps. Il y a un vrai contraste avec la vie à terre, et c’est une super sensation. Donc je n’ai pas particulièrement de peur quant au fait d’être seul à bord. 

Non, je ne suis pas superstitieux, mais j’évite de larguer les amarres un vendredi, on ne sait jamais…

J’aime bien naviguer avec des photos de ce qui m’est cher à terre : ma famille, ma maison, les animaux qui m’entourent.

En course, on dépense beaucoup d’énergie. Du coup, on est obligé d’augmenter notre apport en calories (environ 4000 cal./ jour) afin de limiter l’épuisement physique. En revanche, on n’a pas énormément de place pour emporter de la nourriture, sans parler de la conservation et de la préparation qui sont compliqués (pas de frigo et un petit réchaud à gaz), et du poids qui est notre ennemi.

Souvent, les skippers décident de se tourner vers des plats lyophilisés qui sont caloriques, facilement transportables et conservables. Moi, j’en prends aussi, mais je les considère comme des rations d’urgence. Leur digestion est difficile, car ils sont souvent trop gras. On ne peut pas se permettre de faire la sieste après le repas !

Pour moi, bien manger est essentiel. Cela me permet d’être dans un bon état d’esprit et donc de bien performer en course. Du coup, j’aime embarquer des féculents longue conservation (pâtes, riz, lentilles, quinoa …), que j’agrémente de sauces faites maison avant le départ de la course. En termes de protéines, je mise sur des œufs, du bacon, etc., et je fais aussi des stocks de fruits, secs et frais, et de quelques friandises sucrées ou salées. Ainsi, j’ai un bon apport nutritif journalier, et je continue à me faire plaisir !

C’était il y a fort, fort longtemps, en 1982, quand j’ai participé à la Solitaire du Figaro. Je me suis dit : « j’y suis, je suis dans la cour des grands, je fais ce qui me plait. »

J’étais très fier, et je pensais très fort à mon grand-père.

Il n’y a pas vraiment de journée type en course, car tout dépend des conditions de mer, de la position de nos concurrents, etc. Mais si je devais décrire mes journées de manière générale, je dirais : prendre soin du bateau puis prendre soin de moi et surtout anticiper.

Quand on est en course, il n’y a pas de jour, pas de nuit, mais simplement des routines qu’il faut savoir adapter en fonction de la météo, de l’état du bateau, de la fatigue, des concurrents…

Ah, si… Je dors en général 4h par jour par tranche de 9 min, ce qui est à peu près tout pour les actions récurrentes. Le reste, ça dépend des jours !

Lors d’une régate en double, après avoir passé 2 nuits et 3 jours « à fond » j’ai eu une hallucination : il fallait à tout prix que je passe un coup de téléphone pour réveiller mon équipier. Cela tombait bien, il y avait une cabine téléphonique juste là, à côté du bateau. Sauf qu’il y avait déjà une biche dans la cabine…  Elle se faisait les ongles et fumait une clope en discutant avec sa copine. Elle ne raccrochait jamais… Et donc, je ne pouvais pas téléphoner pour réveiller mon équipier afin qu’il me remplace. Je ne sais pas combien de temps cela a duré…

*Navigation au près : il s’agit d’un mode de navigation au plus près du sens du vent, c’est à dire que le skipper navigue presque complètement face au vent

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